S'il est un travail difficile et qui demande beaucoup d'expérience et de savoir faire, le piquage des meules doit arriver en première position. En tournant à 6 mètres secondes à la périphérie, les meules s'usent et il faut périodiquement les retailler, c'est le travail du "piqueur" ou du "rhabilleur" de meules .

Sur le moulin de Mendagne on trouve deux meules taillées d'un seul tenant dans un gros bloc de silex. "la mole milhère" est dédiée à la mouture du maïs et l'autre, "la mole bladère", broie des céréales plus douces comme le blé, l'orge, le seigle ou l'épeautre.  Après avoir soulevé la meule courante avec de très anciennes cales en bois, d'une barre à mine et d'un palan, Bernard Garibal trace sur la pierre brute 8 sillons de 4 à 5 centimètres de largeur qu'il évide sur 3 centimètres de profondeur. Il est à noter que ses sillons sont inclinés d'une façon différente, suivant que la meule tourne à gauche ou à droite. De leur inclinaison dépendra le non échauffement des pierres et la meilleure éjection de la farine.

Habituellement, le rhabilleur marque la surface à battre au moyen d'une règle enduite d'une couleur. Les parties colorées sont martelées puis l'ensemble est adouci afin de rétablir la régularité des stries de la meule. Les lignes qui suivent sont tirées de réflexions  et confidences d'un meunier face aux meules de son moulin, devenues par la force du quotidien, ses meilleures amies. Ces quelques lignes nous aideront à mieux comprendre l'importance et le rôle d'un meunier "piqueur de meules"...

"Certaines fois, le meunier n'entendait pas la clochette quand elle sonnait pour indiquer qu'il restait à peine de grain dans la trémie. Les meules continuaient à tourner à vide et elles raclaient l'une contre l'autre. Une meule qui tournait sans grain s'usait davantage en une minute que si elle avait écrasé vingt ou trente sacs de blé. Un bon meunier tenait ses meules bien brossées, balayées,

propres. Surtout dans les petits moulins, où l'on n'avait qu'une seule paire de meules. Forcément, elles servaient pour n'importe quoi. Alors, chaque fois que le meunier changeait de grain, il lui fallait lever la meule et la nettoyer..."

"Surtout on sentait la meule... qui n'était pas contente quand un gravillon restait coincé. Elle ne tournait pas rond, elle sautait, elle était déséquilibrée. Certains paysans passaient le blé au crible avant de le confier au meunier. Là, on était tranquille. Quand la meule restait coincée, il fallait la soulever et  dégager ce qui gênait. Cela nous contrariait parce que la meule se rayait, elle s'esquintait. Surtout si elle était en granit. Comparativement au silex, le granit s'use plus vite..." Le silex est très dur. Une meule en silex pourra durer plus de cent ans en tournant nuit et jour..." La meule en silex servait pour le blé, uniquement, parce qu'elle faisait la farine plus fine. La meule en granit n'allait pas si bien, c'était bon pour le maïs, l'orge, l'avoine, les fèves... On ne sait pas l'importance des pierres..."

"Quand la meule était usée, la farine perdait le velouté et on disait : la meule commence d'être lasse. En plus, il y avait moins de farine qui tombait et le meunier y perdait. Il devait piquer la meule pour refaire le rugueux de la surface, le mordant. Il fallait faire des petits trous qui se touchaient presque, des dents pour briser le grain. On piquait millimètre par millimètre, avec un outil exprès, la maillette... qu'on appelait le marteau-piqueur : un manche avec une tête à deux pointes: des pointes carrées, en acier fondu spécial, rien à voir avec les pointes de charpentier. Dans le temps, les meuniers piquaient les meules tous les mois et même deux fois par mois. Sur leurs mains on ne voyait presque plus la chair..."

"Dans certains pays de moulins, on les appelle les "rhabilleurs" plutôt que "piqueurs". Ce sont des personnages importants et irremplaçables. Une meule mal repiquée peut provoquer l'incendie et la perte du moulin, surtout là où les moulins sont très anciens et les mécanismes fragiles... Personne ne peut s'improviser piqueur de meule. C'est une vocation et une habileté que l'on acquiert au fil des années, avec le travail et l'expérience. Il faut apprendre en travaillant sous la tutelle d'un meunier chevronné. Il est impensable et inimaginable que l'on puisse songer à remplacer un " vrai " meunier du jour au lendemain par un meunier improvisé. N'importe qui pourrait à la rigueur arriver à ouvrir les vannes et actionner les turbines et à introduire les grains dans les divers mécanismes, n'importe qui peut ensacher la farine et la vendre au comptoir, mais être meunier c'est beaucoup plus que cela. Un meunier c'est avant tout un piqueur de meule..."